samedi 29 août 2015

J'ai étendu la main pour traverser la brume. Il y avait cette peur de croiser des ombres. Elles auraient pu me reconnaître Que peut reconnaître une ombre d'un visage qui avance les yeux fermés ? 

J'avance à l'aveuglette. L'important est cette marche. J'enlève un par un les pétales d'une fleur pour ne garder que le cœur. la décision que j'ai prise est en lien avec cette fleur. La fleur fane. Les pétales sont emportés par le vent. Le cœur se dessèche. Bientôt la fleur sera coupée. Que me montrait la fleur ?
La fleur ne me montrait-elle pas ce que je veux réellement ? J'ai décidé de vouloir ce que me montrait la fleur. J'ai décidé de demeurer avec ce qu'elle me montrait.

Tel un cheval rétif, mes œillères sont des étoiles aveuglantes. J'aimerai échapper à ce qui vient, effacer le visage qui naît de la marche. Je suis un cheval qui tient ses brides sans cavalier. Ma décision tient les brides. Le cheval aimerait s'arrêter, pâturer du matin jusqu'au soir. Mais je n'avance pas seul.

Les œillères que je porte, étrangement, ne rétrécissent pas mon champ de vision. Je suis un cheval dans la nuit qui n'a pas choisi la nuit. J'ai mangé l'avoine de la nuit qui ne m'a laissé que de l'amertume. Les trous de la nuit sont sur mes flancs. Je suis un cheval-passoire qui avance vers l'aube, un cheval fourbu d'obscurité, un cheval qui a perdu sa crinière dans les flammes du vide.

Je suis un cheval qui avance au trot. Les galops mènent au crépuscule. J'ai perdu ma force pour revenir au chemin de la nuit où le froment se fait attendre.

J'avance à petit pas pour ne pas m'allonger dans la paille froide où le dernier rêve agonise. Mes sabots glissent sur les pierres d'un chemin qu'un ciel sans lune n'éclaire pas.

Je suis tout entier dans un pas, puis dans l'autre. Et si l'on me demande où je vais, je fais un pas de plus dans le silence. Je n'ai plus le temps de répondre. 
Des étoiles jaillissent sous mes sabots et meurent aussitôt. Je ne répondrai pas à ceux qui demandent où mène ce chemin, car ils restent là au bord et rient de voir un cheval à moitié aveugle qui heurte des pierres.  Ils n'entendent plus le cri de ceux qui n'ont d'autre bien que leur pas.

Je suis un cheval sans bagages sur le chemin de la nuit. Chaque mot est un pas qui dit de continuer. je ne veux pas mourir à l'abattoir des illusions avec des anneaux dorés dans les naseaux.

J'avance malgré tout, parce que si j'avance, je suis sûr que je n'avance pas tout seul.

Mais que personne ne me demande où mène ce chemin qui se perd dans la nuit. Je n'ai pas de bagages, mais je porte des questions que je hennis de temps à autre, et j'ai pour réponse le cri de ceux qui avancent dans l'exil, à la recherche d'une aube qui grandit à chaque pas.



samedi 22 août 2015

Ce qui advient en ce pays d'absence,
ce qui n'est ni grain, ni semence,
est là pourtant.

Avec cette lumière ardente,
le volet est baissé.
Fenêtre aveugle.
Pas d'échappatoire.

La voix est comme une étoile.
Elle vient de loin, très loin.

Elle prend avec elle
l'angoisse du nourrisson
quand le jour décline.

Elle est aussi le râle du mourant.

Pourquoi, pourquoi,
et s'il y a de l'infini,
où cela finit-il ?

Elle offre un visage
comme une flamme
sur un fleuve noir.

Elle ne ment pas, n'emberlificote pas.

Elle ose à peine reconnaître
qu'elle est une voix qui cherche ses mots,
une voix adossée à un mur.

Tous ces jours pour enfin reconnaître
qu'il n'y a rien ici que l'on veuille vraiment,
toute cette lumière falote.

la voix supplie à la porte ouverte.
la porte ne s'ouvre pas plus grande.

la voix a aussi des yeux.
Elle regarde de loin.
Elle est à sa naissance et aussi à sa mort.

Elle ne trompe plus personne.

Toutes ces années comme une lézarde
qui s'agrandit et nul ne sait
ce qui va apparaître.

Toutes ces nuits de dialogue avec le silence
pour se préserver de la simplicité d'un pas
et qui l'a fait ?

La voix n'est plus qu'une aile de papillon.
Elle est toute dans son mouvement,
dans son passage de fleurs en nuages.

La voix vient de loin, très loin,
plus loin que la fenêtre privée de ciel.

Elle rassemble ses petits
et ce sont des mots

qui ne forme pas une armée,

juste un peu de poussière d'or
que le vent disperse dans un grand soupir !


lundi 17 août 2015


Ciel chauve soudain
sans une mèche de nuages.

Au dessus de la cime ensoleillée des arbres
le bleu, inattendu, montre la réalité !

les écailles tombent.
La colline traverse la fenêtre
et se pose sur le regard
avec quelques oiseaux impétueux.

le miel d'un sitar aide à déposer
la dernière arme.

La traversée du mal
accroît les retrouvailles

Était-ce payer rubis sur l'ongle
que d'en arriver là ?

le cri est devenu un phare
C'est le seul remède, même s'il est sauvage.

Crier à vivre
dans un puits de larmes
Ce bleu inattendu devient un linceul
où la blessure s'éteint.

Funérailles. Il ne reste rien.
Le drap s'ouvre.
Un cri léonin s'en échappe.
On ne voit ni os, ni poussière.
Le ciel retrouve sa place
orné d'un diadème.

Sur les banderoles des nuages
on lit seulement le réconfort d'une caresse.

les alizés sont les seuls anges
au pied d'un cercueil fracassé.
Nul besoin de harangue.

la discrétion du colibri et le frémissement de ses ailes
ont seuls droit de cité

le cortège s'égare sur un chemin sinueux,
se perd dans la brume
et les pleurs de la rivière

Personne ne remarque le cri,
le seul timon qui vaille.
Il passe au dessus du cimetière
innocent comme une colombe.

C'est un phénix qui emporte
sur ses ailes l'homme brisé.

A l'instant où le glas sonne,
des enfants rient encore.


samedi 8 août 2015


Le sommeil vient avec cette légèreté de la graine
qui monte au moindre souffle.

Soudain, il n'y a plus conscience.

Les colombes disparaissent, les feuillages sont seuls.
Sans un regard, ils ne sont même pas un rêve.

La dormeuse respire sans le savoir.
Elle s'est glissé dans un lit
comme une main dans son gant.

La mort n'a jamais été aussi proche
et pourtant reste à distance
comme un ange au plafond
regarde un corps sans défense.

La dormeuse se réveille toujours
quand il est temps.
Elle rassemble son esprit
à travers les odeurs du pain,
le drap rêche, le petit miroir
qui reflète un bout du toit.

La dormeuse sent que ses ailes
repoussent pendant la nuit.
Elle s'envole un instant
lorsqu'elle ouvre ses persiennes.

Puis, comme les autres,
elle les cache sous sa veste grise.
Le trottoir vers l'école n'est pas un aérodrome.

Dormeuse, le sommeil est comme l'oubli.
Y-a-t-il encore la frénésie du jour
quand on ferme les yeux ?

Non, il n'y a plus rien.
Le marchand de sable ramasse le passé
réduit en poudre.

Le sommeil vient et défait les liens.
La veste tombe comme un épouvantail
qui ne sert plus à rien.

Ici, le seul rôle est
d'être.

C'est pourquoi le visage de la dormeuse
a une beauté qui se dérobe au temps.

Ce n'est pas un masque qui apparaît.
C'est une splendeur que l'on retrouve
sur un pétale de fleur,
une aile de papillon.

C'est un signe nu comme une onde
que rien ne brouille.

L'amour du sommeil s'apprend-il encore ?
La dormeuse n'a rien appris.
Elle a seulement vécu la douceur
de ceux que rien ne déchire.

Dormir, dormir, dormir comme elle.



Photo 1 : Tableau de Nicole Dureux
Photo 2 : le petit miroir avec le bout de toit
Photo 3 : Un pétale de pavot du jardin








vendredi 7 août 2015

Dans la pénombre d'une chambre,
devant un mur orange,
il n'y a nulle crainte. 


Présente à tout moment est cette nudité.
Mots écrits, mots lus dansent avec le feuillage
plus loin que la fenêtre.

La chaleur est-elle là dehors pour ralentir une fièvre plus grande ?

Rien ne bouge.
Effort ou non-effort viennent à leur heure.

Au jardin, une tomate se forme parmi les fleurs.
Lui accorder confiance jusqu'à son terme.

Si l'âme avait des mains,
quelque chose tomberait.
N'y a-t-il plus rien vraiment ?

Le soleil est comme de glace.
Tout se fige dans sa brûlure.

Ne pas trop bouger.
Attendre la fin de cette dévoration de lumière.

Les abeilles cherchent de l'ombre
dans le cœur des hortensias.
Les rumeurs s'éloignent.
La ville est en cuisson.

Et si le soleil s'approchait un peu trop près,
quel refuge ?

Le mur orange ne vacille pas. Rester nu.
Accueillir entre les persiennes
cette lumière que le regard éclaire.
Il n'y a rien d'autre à faire.

Peut-être est-ce le moment d'écrire à quelques amis.
Recevoir la visite d'une lettre accroît la fraîcheur de l'ombre.

Un paysage s'installe.
Les mots deviennent la brise qu'on attendait.

On lit une voix, on se berce à sa douceur.

Donner, c'est autant recevoir.
Ici, rien n'est à ajouter.

"Donne-moi à boire ce soir,
disent les feuilles du kiwi toutes flapies"
Celui qui arrose calme sa soif.
l'eau devient une amie.

Dans la pénombre d'une chambre
le mur orange n'est pas une prison.
Des pensées s'éloignent. Elles ont eu leur heure
D'autre viennent.
De recul en recul, ce n'est pas l'essentiel.

Le léger mouvement des feuilles
à l'orée de la fenêtre est comme une parole.
De cette soif naît la paix.




Peinture Nicole Dureux


mardi 4 août 2015

Sous la pluie battante, les merles s'agitent entre les framboisiers.

les longs traits de la pluie donnent à boire à la terre.

Tout vient d'en haut. N'y aurait-il qu'à attendre ?

Idoles, images, fantômes ne valent pas
une goutte de pluie sur une terre crevassée !

Qu'écrire encore, si l'on ne peut se raconter des histoires ?

La pluie raye le paysage, mais rien ne bouge.

Qu'écrire encore vraiment ?

Un oiseau solitaire passe sans questions.

Quelques signes de tranquillité se posent sur le papier.

S'il n'y avait qu'à vivre ?

Mais le crayon suit aussi sa ligne de vie.
Il trace un sillon.
Les graines ne lui appartiennent pas.

On peut se nourrir de rien,
d'un ciel gris,
d'une lampe au coin d'un bureau,
et même d'une poussière.

Est-ce le rôle de ces fossiles,écorce, bout d'os, coquilles, lichens,
sur cette étagère, d'être des riens ?

Et les regards dans ce cadre de ceux qu'on a aimé
et qui ont disparu ?

Que fixent-ils ? Que veulent-ils dire à celui qui vit ?

Étrange que le regard des morts dit de vivre ?

La pluie s'est arrêtée brutalement. Pas un souffle de vent.

Prendre une respiration. Toutes les formes se dissolvent.
Derrière les arbres de la colline, des maisons se dissimulent.
Derrière les murs, des vies se protègent.
Derrière ces corps, le silence.

On ne s'inquiète pas d'un cœur qui bat.
On n'épie pas le moindre de ses battements.
Pourquoi d'ailleurs bat-il sans qu'on ne lui demande rien ?

On ne maîtrise rien. Luciole qui va t'éteindre avec le jour,
sais-tu pourquoi ?

Ecrire, cela sert à quoi ?

Peut-être quelques traces quand on est emporté trop loin,
quand tout vacille,
que l'on marche ivre entre les nébuleuses,
que l’on reste bouche bée quand il faudrait parler,

peut-être à continuer
ce qui ne se termine pas

éteindre la lampe
s'en aller.




Gravure Nicole Dureux

Il y a les pensées qui s'entrechoquent, les points de vue, le jugement péremptoire, l'organisation des éléments,

toute cette machinerie à percer,

et soudain la corneille
se précipite vers la fenêtre
l'évite de justesse et disparaît.

C'est l'éclair du vrai monde.

C'est comme cette feuille de bégonia bambou
où sont disposées délicatement
des lunules blanches,

que penser ?

Cette feuille échappe à tout.

En plein centre de la vitre,
l'éclaircie dans le ciel gris est un vertige,

les stries sur la coquille Saint-Jacques
n'ont besoin d'aucune parole.

Secouer la tête comme une salière,
qu'il n'y reste rien !

Hébétude de l'innocence,
comme un grand coup de vent,

ou bien trois mots de Plotin,
"le beau est originaire",

cela suffit !

La pluie se remet à tomber.
Les corneilles se mettent à couvert.

La flamme du bûcher des vanités est claire.
Elle danse au centre de ceux qui sont dépossédés.

Comme le limon des eaux courantes,
il y a des pensées à déposer.

Prise au piège d'un bocal, la main s'en échappe
quand elle lâche ce qu'elle voulait attraper.

Il n'y a rien à attraper.

Insaisissable monde;
C'est ainsi que naît l'amour pour les oiseaux.
Ils échappent toujours

C'est ainsi que jouent les enfants,
"tu ne m'attraperas pas !"

Ils sont dans le courant,
le bateau de papier aussi.

Il est déjà temps de passer à autre chose,
d'ouvrir la fenêtre, de sentir l'air
comme on met un pied dans l'eau.

Vivre appelle.







-Depuis mon banc- 

Le banc, mouiller l'ancre

Comme un passage d'oiseaux, la foulée rythmée de deux joggeurs dans une allée au loin

L'air accablé, chapeau de paille sur la tête, il marche traînant des pieds. Par le pas, voir l'état de l'âme

« Caillou, ciseaux, papier ». Le monde n'existe plus pour le grand-père avec son petit-fils. Ils jouent tout en marchant

Le banc est aussi une fenêtre. Au lieu des nuages, y passent les gens

Je m'amuse à compter les différentes variétés de vert des feuillages. J'en trouve une douzaine. A chaque arbre son vert. Pas d'uniforme

La barbe à papa mange la bouche du jeune garçon qui en fait la grimace

Regard clair, une petite fille dans une poussette me fixe. La poussette s'éloigne. Elle se penche pour continuer à me regarder

L'invitation du banc : y'a pas le feu !

Serrés l'un contre l'autre, un couple. La dame élégante s'esclaffe : « Ah ! Eh bien !, cela me rassure un peu, bon danseur, bon skieur ! »

Musique de fête lointaine au rythme un peu lancinant, mais avec la lumière dans le feuillage le parc s'égaye

Majesté du paon qui passe derrière mon dos. Il s'est retenu de pousser son cri

Peut-être le banc en a-t-il plein le dos ?

Je sursaute à chaque fois que se met en route la sonnerie de départ du manège tout proche. Elle ressemble tellement à celle de mon téléphone portable

Rousse flamboyante au pantalon bleu turquoise, où vas-tu d'un pas si assuré ?

Charmante présentation. Deux fillettes se tiennent par la main. « Je m'appelle Nora. Je m'appelle Louise »

Le banc : une crique où la mer s'apaise

« Qui s'y frotte s'y pique !» Les chardons bleus en face de moi ont survécu à la sécheresse

L'espérance du pigeon aux plumes violettes sur le cou : une miette !

La seule poussière blanche des allées parsemée de traces infimes, quand il n'y a plus personne

Pourquoi ce banc ? D'autres étaient mieux situés. Mais il n'y a que celui-là qui m'a invité !

Des cris d'enfants invisibles se mélangent à la musique, un air d'opérette. Pourquoi sont-ils les seuls à crier ?

Sur la pelouse jaunie, le merle noir brille

On ne peut pas être amoureux et faire la tête. Le couple tout sourire assis non loin de moi en est la preuve

Le banc : barque tranquille au cœur de l'océan du parc

Un vieux couple. Quelle distance entre eux ! L'homme marche devant et regarde distraitement ce que lui montre sa femme, les chardons bleus

L'attente un peu ridicule du propriétaire d'un chien quand celui-ci flaire une odeur au pied d'un arbre. Qui est le maître ?

Un homme aux traits tirés cherche un banc et n'en trouve pas. Ils sont tous pris. Il disparaît. Je ne lui aurai pourtant pas refuser l'hospitalité !

Violence du temps ! Il existe des bancs sur lesquels on a posé des barres exprès pour qu'on ne puisse plus y dormir !

« Tiens-toi tranquille ! » Comme c'est bon que ce ne soit plus un ordre !

Douceur de l'enfant qui porte son petit frère parti trop loin, dans ses bras. « Tu allais où comme cela ? » La vraie fraternité ?

Le petit s'échappe à nouveau

Deux marronniers centenaires me procurent de l'ombre. Ont-ils gardé en mémoire tout ce défilé de visages ?

C'est mon banc. Même si je ne m'en sens pas propriétaire, j'ai noué une complicité avec lui

Sonorités de la langue portugaise, comme des galets que roule la mer. Rien de heurté, ni de carré ! Je pense à cela devant ce groupe de portugais qui s'arrête à mes côtés

Une petite fille avec un joli chapeau met avec délicatesse son mouchoir en papier dans la poubelle, comme si elle posait un geste sacré. « C'est bien Romane ! » Ces quelques mots condescendants des parents brisent tout !

Un grand coup de pied rageur dans la poussière du chemin par un gamin de dix ans. Pourquoi ?

Le banc, là où les êtres arrivent. Là où parfois ils échouent

On se sent moins seul sur un banc, même quand on est seul

Le banc a les pieds de travers. C'est pourquoi beaucoup de personnes bancales viennent à lui