samedi 22 février 2014

Cette trace que tu laisses comme les cernes dans l'eau du caillou que l'on jette, cette trace incertaine, cette écume, ce coquelicot d'encre qu'un souffle emporte, cette trace sans traces d'un oiseau en plein ciel, pourquoi la continuer ? Serait-elle ce que tu es ? Serait-elle le murmure qui te rassure, t'exhorte à exister ? Tu ne sais pas ! Elle cherche passage, afflux de vie nouvelle comme entre les feuilles pourries de l'automne, un bulbe de rhubarbe étonne par sa fraîcheur. Cette trace démunie, qui par l'écrit tente d'être un cri, cette trace à peine plus marquée qu'une empreinte de pas sur le sable mouillée, que désire-t-elle montrer ? Une étreinte où la mort ne pourrait pénétrer ? Un baiser qui aurait pouvoir d'effacer la nuit ? Oui, elle est tout ce que tu souhaites, retrouvaille de l'être, noblesse d'une lumière qui teinte certains visages, infiniment plus visages, toujours autres, toujours tournés vers l'ouvert ! Ta trace, ton langage, qui est toi-même, ne cherche en rien à être conforme. Ta parole sur le papier, comme l'eau ignorée qui suinte dans la prairie à la recherche d'un rivage où se perdre, est ton bien le plus précieux. Elle ne peut t'être arrachée. Elle est le roseau que ne peuvent briser les rouleaux de l'obscur. Elle est timidité du verbe qui est caresse pour que s'ouvrent d'autres chants, délicatesse qui se pose en silence sur la plus haute branche de l'attente, ta trace qui ressemble à la pluie mêlée de soleil qui jamais ne donne d'ordres ni ne pervertit ! Elle est à la jointure de ta vie, là où le temps s'abolit. Elle signe l'envol que personne n'attend sur le territoire des défaites. Elle est le feu follet qu'aucune promesse n'amadoue, flamme qui danse parmi les éteignoirs de la brutalité, panache qui disparaît pour laisser place à la splendeur de l'espace où tu respires le vrai !


dimanche 16 février 2014

Tu ne perdras pas le fil ! Que tout s'en aille, que tous s'enfuient, tu continueras vaille que vaille, et si un nuage t'étonne, peut-être ce sourire que tu attends encore viendra comme un cri de corbeau par surprise ! Ce sera le plus beau des sourires. Il emportera au loin toutes les paroles. Il fera pâlir toutes les grammaires, tous les traités de style. Il sera là et tu n'en reviendras pas, comme une caresse que tu n'as pas demandé. La porte que tu croyais si bien fermée s'ouvrira enfin, une attention, une présence, un peu de lumière soudain dans ce désert, tu n'en reviendra pas ! D'ailleurs il s'agira de ne pas en revenir, une avancée soudaine. Tu ne seras plus le même !
Le ciel est à nouveau gris. L'opéra de nuages est bien fini. L'après-midi se termine. Sur ton mur, le soleil dessine une porte. Tu passeras par là ! Tu n'auras pas peur d'aller lui dire :"Regarde, en moi vit une musique, une parole qui joue à la mésange qui s'enfuit ! C'est comme si je regardais s'en aller un navire sur l'océan, comme si je lâchais la main d'un enfant qui marche en équilibre sur une grume moussue !"
Tu es comme habité par un fantôme paisible qui ouvre ses main et son cœur pour rien. Puisque tu es là et que d'autres peuvent vivre à ton ombre, sans emprise et sans attente, qu'ils s'y reposent, qu'ils s'y apaisent ! La vie te parle ! La vie suinte de partout, comme ce mur si bien repeint (oh vanité de la perfection !), déjà tâché par une traînée verte d'humidité de la racine d'un arbre qu'on avait oublié, ou comme ce chardon qu'on arrache à la fin de l'hiver et qui finit toujours par repousser !
Peut-être alors que tout cela n'aura pas été vain ? Oui, tu iras lui dire et tu n'auras pas besoin de parler. Ce sera un simple croisement d'oiseaux. Personne ne se rendra compte, personne ne verra qu'un miracle est en train de s'accomplir ! Personne ne verra que cette étincelle a donné une vie entièrement nouvelle ! D'ailleurs ce sera le printemps avant l'heure. Tu y pensais ce matin en épluchant les légumes. Comme elle était belle cette chair orange de carotte ou de patate douce, comme elle allait donner un peu de vie aux hôtes du jour !
Et toi, tu n'étais rien, un simple instrument, un couteau bien aiguisé, qui oeuvre dans cette conscience qui peut franchir les murs et déposer un baiser sur le front d'une enfant qui pleure et aimerait que les cris de ses parents s'arrêtent ! Et la paix revient et l'enfant regarde les branches de l'arbre qui dansent et ne pense plus à  rien !


jeudi 13 février 2014

Là aussi, tu ne comprends pas ! Peut-être cela vient-il parce que tu n'as plus rien à perdre ! Pardon à ces sœurs si  humaines lorsque je joue avec les mots ...un peu plus tôt, un peu plus tard...Oui, il nous faut mourir, tout abandonner, laisser cette tendresse, cette vie qui n'aura pu aller jusqu'au bout de son accomplissement , mais quel déchirement ! Tu vois cette pluie que n'arrête pas de tomber, mais cela n'a guère d'importance. Tu es là, vivant avec ce si grand désir qui cherche à se dire, et c'est toujours comme un chant, la recherche de l'élan, comme ce matin l'enfant-escargot qui courait vers l'école avec son cartable coquille et qui parlait tout seul : "mon pantalon descend ! mon pantalon descend !" Tu es là et tu n'as pas besoin de beaucoup d'explications pour comprendre par l'intérieur à quoi toute vie se résume ! Tu penses aussi à ton ami disparu si vite la semaine dernière qui t'avait écrit un mot si gentil à la mort de ta mère ! Et toi tu as laissé le temps distendre ce lien et tu le regrettes maintenant. Si nous avions conscience, vraiment conscience que notre vie est une goutte d'eau au bord d'un seau comme l'écrivait tu ne sais plus quel sage !
Oui tu voudrais goûter ta vie encore plus intensément, chaque instant, ne pas le laisser disparaître dans des abîmes de tristesse ou d'ennui. Partout un mystère affleure, comme l'autre jour, dans le cimetière, cette dame au loin qui marchait solitaire dans une allée d'érables aux troncs centenaires. Elle avançait vers toi, un peu courbé, un peu fragile. Sans doute venait-elle de se rendre sur la tombe  de quelqu'un qu'elle aimait car quand tu l'as croisé, elle avait le regard un peu perdu dan son visage entouré de beaux cheveux blancs ! Oui , c'est comme si l'on nous enfermait, c'est comme si l'on nous mentait ! Mais la vie ce n'et pas cela, la vie n'est pas derrière nos écrans de portable, derrière tous ces masques que nous ajustons tant bien que mal pour tenir notre rôle. Non la vie est là dans notre fragilité, quand nous n'en pouvons plus, quand nous osons parler à un inconnu, répondre à un sourire par un autre sourire et en être bouleversé. Oui, nous allons tous mourir et c'est irrémédiable. Alors qu'est-ce que nous attendons ? Croyons-nous vraiment que tous nos plans, toutes nos idées, nos projets, nos jugements sont si importants ? Ce soir tu vois cette vague qui approche ! Comme tu aimerais qu'elle emporte tout, qu'elle te dénude, qu'elle te révèle enfin qui tu es vraiment, quand abasourdi de fatigue et de bruit, de paroles vaines et de faux-semblants, tu te penches vers une eau fraîche pour t'en humecter le visage, comme si soudain tu étais plongé au cœur d'une vie qui ne finit pas, qui ne peut jamais finir et qui a le visage d'un petit matin en montagne quand on ouvre la porte du refuge où l'on entend le souffle des nuages sur les cimes ! Ce soir et toujours, viens et emporte nous !

dimanche 9 février 2014

Tu ne peux plus, tu n'y arrive pas ! Et pourtant, tu as encore la force de lever la tête. Presque à chaque instant le ciel est neuf. Tout s'y déroule sans frontières, et toi, tu aimerais dire, tu aimerais vivre. Pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi vois-tu cette attente chez tout le monde, et rien ne se réalise, comme s'il y avait un obstacle invisible, un mur impossible à franchir ! Tu vois bien qu'on ne peut se satisfaire d'un bonjour de façade, de la neige qui ne vient pas, de la pluie qui se prolonge. Tu vois bien qu'on aimerait être plus au cœur de l'être, connaître tout ce qui anime un sourire, parfois une larme. Mais chacun reprends son rôle, même s'il y a une flamme derrière le regard, ou une émotion qu'on ne peut dissimuler tout à fait ! Rideau de pluie soudain, avec des rafales de vent qui se mêlent au soleil ! Tout s'éclaire. Tu es seul et tu aimerais entendre un rire ou une voix, mais tu entends seulement l'horloge qui mesure le temps, l'absence, le silence.
Dans cette conscience de rien, là où rien ne subsiste, là où rien ne se présente, tout n'est-il pas possible ? Qu'est-ce qui empêche un autre avenir de se dessiner ? Tu revois les centaines de corbeaux au crépuscule qui parcouraient le ciel en tout sens ! Aucun chemin, aucun projet ! Une sorte d'ivresse à se perdre dans l'espace, à ne pas choisir une direction, à se poser sur le houppier d'un arbre choisi au hasard, puis  à repartir aussitôt, sans raison, pour rien , pour l'amour de rien !
Tu sais qu'il y a de la souffrance, des enfermements, des effondrements, parfois sans retour ! La marque n'est plus au fer rouge ! Elle est scientifique, imparable, issu d'un diagnostic !  Tu sais qu'il y a une volonté de se détruire et de tout détruire autour de soi ! Et puis il y a un calme, une paix qui n'est pas forcée, comme le bruit d'une goutte d'eau, ou une seule note d'un oiseau craintif ! Tu sais sans savoir, parce que cela ne s'apprend pas. C'est plutôt dans ce qui se défait, dans ce qui arrive au bout, quand il n'y a plus d'issue, quand les mots deviennent de trop, toutes les déclarations d'intention, surtout les belles phrases, les discours qui tentent de masquer la faille, comme celui qui parle de douceur le corps raide comme un soldat de plomb ! Tu sais que la violence vient sans crier gare, la nuit brutale, le désir que tout se termine, et là... incompréhensible, sans rien avoir demandé, tu es ramené à une simple humanité, une fragilité d'accueil, toutes les fibres de ton être ! Il n'y a plus de mérite. Chaque seconde, tu perçois que se continue ce désir qui est au cœur de tout être, malgré ces blessures..et tu es cette conscience. Tu n'as plus d'idées, tout vient à toi maintenant et tout est devenu simple. Tu aimerais que la terre s'ouvre et engloutisse ce flot de mots qui sont des poignards et font leur oeuvre de mort ! "Qu'est-ce que la vérité ?" dit Pilate. Il la met à distance. Il ne vient pas à la vérité. Il pressent mais il cherche encore à tricher. Il ne veut pas voir cette vérité qui est devant lui. Il garde sa couronne, il ne veut pas être détrôné : Il a peur de cette nudité, de ce vide qui s'avance en un visage d'homme. Il ne veut pas que l'eau coule pour rien, il ne veut pas de la gratuité ...et toi, tu vois le ciel qui se recouvre. Il n'est déjà plus le même ! Tu n'est déjà plus le même ! Tout se recouvre de silence !


samedi 1 février 2014

Pas un instant de répit ! Il pleut à couteaux tirés ! Tu ne lèves pas les yeux au ciel ! Tu penses aux statues que tu as photographié dans le cimetière hier et qui sont peu à peu rongées par le temps et l'acidité de l'air. Pourquoi les a-t-on mises là ? De quoi témoignent-elles ? Certains pensent à une vie après la mort. Toi, tu aimerais vivre vraiment avant de mourir ! Tu aimes cette réponse de Thoreau mourant à celui qui lui demandait s'il croyait en l'au-delà : "Un monde après l'autre !" Tu as toujours aussi en tête l'image d'un rêve qui date maintenant de quelques années. Tu étais parmi une assemblée de vieillards dont les visages étaient ruisselants de vie. Ruissellement ! Il n'y a pas d'autre mot pour expliquer ce que tu as vu !Tu penses aussi à cette phrase de René Char : " l'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant !" Oui, vivre, uniquement vivre dans la reconnaissance d'une "Grande Vie" déjà là, toujours présente, toujours accessible, vie ruisselante qui cherche des chemins pour irriguer les terres intérieures des hommes, vie qui ne peut être pour soi, mais vie qui se passe et se donne, vie qui se penche et relève, vie qui console et apaise, vie qui arrête au dernier moment le geste irréparable ! Tu veux vivre, te laisser envahir, saisir une main qui se tend quand tu sombres, pour pouvoir tendre un jour la tienne, rejoindre la ronde des vivants, de ceux qui disent non à tout ce qui efface ou mutile un visage d'homme ! Tu veux vivre d'une vie qui parle d'elle-même, une vie qui irradie, une vie qui transforme ! Et cette vie vient à toi ! Tu n'as rien à faire. Elle vient remplir ce qui est pauvre et vide ! Elle se fera torrent si tu ne cherches pas à la retenir !