lundi 27 avril 2015

Cela ne finit jamais.
Il pleut à nouveau.
L'eau dans les caniveaux
a de jolis reflets.
Cela ne finit jamais.
Le matin, tu ouvres les yeux.
La pluie tambourine.
le vert sur la colline
est devenu fluorescent.
Ton cœur ne s'est pas arrêté.
Le sang s'écoule comme de l'eau
Quel mer rejoindra-t-il ?
Tu ouvres la radio,
la ferme presque aussitôt.
Des hommes se déchirent
pendant que d'autres
s'unissent pour soulever
des tonnes de gravats.
Cela ne finit jamais.
L'eau de la douche
enlève ton dernier rêve.
Le rasoir glisse sur un visage
qui est là-bas dans le miroir,
un reflet d'être humain.
Tu bois ton thé
comme on fume le narguilé.
Tu te réchauffes à un feu
avant de prendre le chemin.
Cela ne finit jamais.
Ouvrir la porte, la refermer,
glisser sur le trottoir
jusqu'à l'école
où de jeunes mères
emmènent une ribambelle
de lutins sous capuchons,
passer devant le parc
où les branches du cèdre
s'abaissent d'humidité,
passer le carrefour
où rugissent des autos
au feu rouge qui dure,
c'est ton chemin depuis longtemps.
Cela ne finit jamais.
Bonjour, bonjour, bonjour,
te voilà arrivé au port,
un bureau envahi
de piles de livres,
échanger quelques mots,
deviner la fatigue
ou une étincelle,
trouver l'accord
par une pincée de paix,
une pincée de rire,
te mettre à ton travail
sans y croire tout à fait,
cela ne finit jamais,
et déjà la journée
est presque terminée,
après une réunion
qui n'a servi vraiment
qu'à tous se réunir.
Cela ne finit jamais !
Puis il y a des surprises,
Un escargot incognito
qui se frotte au bitume,
le ciel qui s'ouvre
comme une porte,
le salut de la voisine
que tu ne reconnais pas
à travers la vitre mouillée
de sa belle voiture
et qui pense que tu es
encore la tête dans la lune.
Cela ne finit jamais.
Goûter une mandarine,
boire un verre de lait,
c'est plutôt étrange
dans une maison vide.
Tu montes l'escalier
pour trouver ta fenêtre,
l'espace qui te permet
de lancer des pensées
comme des avions
en papier quadrillé
qui vont loin, le plus loin
possible par delà
la muraille des arbres
qui soudain ont retrouvé
leurs bonnes mines d'antan.
Cela ne finit jamais.
La pluie se remet à tomber.
Une porte a claqué,
la maison n'est plus vide !
Le soir va s'abattre
comme un oiseau de proie.
Tu prendras un roman
ou un de ces livres
qu'on ne finit jamais.
Il te tombera des mains.
Tu tomberas de sommeil
la lumière allumée.
Quand tu te réveilleras,
la nuit sera là.
Cela ne finit jamais
Tu voudras t'endormir
comme on cherche un baiser.
Cela ne finit jamais.
Tu entendras la chouette
tout près qui hulule,
les yeux ouverts dans le noir.
Tu n'auras plus de mots
pour penser, seulement
cela ne finit jamais
et le chant de la pluie
t'emportera loin, très loin !


samedi 18 avril 2015

Est-ce l'ombre d'un arbre de vie ?
Les oiseaux en sont absents.
Pourquoi tardent-ils à se poser là 
et à pépier dans la lumière ?
Ce n'est qu'une ombre
qu'on foule aux pieds,
aussi vite oubliée qu'un reflet d'or
sur l'eau du canal.
Et pourtant, elle semble s'accrocher au bitume
ou vouloir retenir les pas du promeneur :
"Ne passe pas si vite ? Il y a ici un secret.
Je n'existe que par la lumière.
Je ne suis qu'une ombre d'arbre
avec ses feuilles naissantes,
mais ne vois-tu pas ce qui se passe
en cet instant même sous tes pieds ?"
Est-ce l'ombre, l'arbre
qui se sont mis à chanter?
Les oiseaux sont absents
mais ils viendront avec le soir.
Le premier s'arrêtera
sur la plus haute branche.
Les autres suivront attirés
par cette solitude bienheureuse
d'un oiseau qui se balance
sous la brise au crépuscule.
Alors ce ne sera plus
vraiment un arbre.
les feuilles paraîtront des flammes,
les oiseaux des étoiles.
et le promeneur lèvera la tête
avec l'ombre qui s'efface
et il comprendra que ses mots
sont inutiles,
qu'il n'a plus besoin
de se perdre en paroles,
mais qu'une étincelle vient de naître,
qu'un mur vient de s'écrouler,
qu'il n'y avait pas de frontières.
Il fallait seulement être là
au bord d'un canal à l'eau grise,
prêt à s'arrêter devant l'ombre
d'un arbre de vie pour ne rien piétiner.
Il fallait seulement sortir
de ces pensées qui cherchent
à tout emporter dans leur carrousel.
Il fallait écouter une ombre parler
avec son langage à elle,
sa vérité toute simple.
Alors peu importe
si les oiseaux viennent
ou ne viennent pas,
peu importe que l'ombre
disparaisse avec la nuit,
ce que le promeneur a vu
n'est pas un songe.
Une ombre a parlé.
Ce n'était pas le clapotis
de l'eau du canal.
Ce qui a jailli là sous ses pieds
était un peu comme le silence
qui s'installe après la dernière page
d'un livre qu'on a aimé
et que tout est devenu plus large,
qu'on ne sent plus son arthrose
ou sa migraine,
ou ce corps fourbu
qui n'est qu'un corps.
Une à une, il a vu
ses souffrances s'envoler
avec les oiseaux du soir.
Il n'y avait plus
que l'arbre sans blessures
qui se tenait près de lui,
encore tout frémissant
de chant et de vent,
encore tout enflammé !


samedi 11 avril 2015


Depuis des années cette fenêtre affronte le frimas,
les averses de neige ou de grêle,
la brûlure du soleil,
l'insidieux brouillard.
Depuis des années, elle s'imprègne 
des gaz des voitures et des camions.
Mais elle résiste.
Elle est la gardienne d'un espace retiré
où l'on entend seulement 
un tic-tac d'horloge ancienne.

Elle ne laisse passer qu'un peu de lumière
qui vient danser et réchauffer
le fauteuil où parfois un homme âgé
se repose tout près du rideau blanc
devenu gris lui aussi avec le temps.
Il essaye de lire, mais les lignes de son livre
se mettent à danser.
les mots perdent leurs sens
les phrases se bousculent.
l'horloge qui sonne parfois le réveille.
Il regarde son livre
comme il regarde la rue
et le flot des voitures
qui jamais ne s'arrête.

Il n'a pas encore la force de bouger,
même si le soir vient.
le livre dans ses mains
qu'il ne terminera jamais
est devenu un ami.
Il caresse la couverture,
il hume le papier.
Il danse aussi avec son regard
noyé dans la lumière
qui inonde la pièce
et qui disparaîtra.

Il est seul depuis si longtemps,
mais il ne se plaint pas.
D'ailleurs à qui se plaindrait-il ?

C'est cela qu'il vit et il le vit entièrement.
Assis à longueur de journées
dans son fauteuil usé,
c'est son existence
Un jour, il ne sait plus quand,
il l' a simplement embrassé
comme on serre très fort
un enfant dans ses bras.

Dehors tout s'agite.
la fête foraine bat son plein.
Des cris parviennent à ses oreilles
lorsqu'il entrouvre la fenêtre.
Il peut aussi reconnaître
le pas qui traîne du passant fatigué,
ou le claquement des talons
des jeunes filles énergiques.
Il ne se cache pas. Il ne fuit pas
les bruits du monde qui montent à sa fenêtre.
Non, il regarde tout cela
d'un autre rivage,
le rivage de sa fenêtre
qui a résisté au temps,
aux intempéries,
aux rugissements des moteurs.
Il est à sa fenêtre
comme on est en bord de mer
et que tout s'élargit,
que l'on respire soudain
parce que l'espace
que l'on cherchait avec angoisse
est enfin là.

C'est peut-être pour cela
que sa fenêtre a résisté,
malgré la peinture qui s'écaille
et les fissures dans le bois.
Il est amoureux de sa fenêtre.
Il se tient derrière elle,
un peu en retrait
comme l'on sait mettre en valeur
la personne que l'on aime
en sachant s'effacer.
Pour rien au monde, il ne l'aurait changé
pour un cadre en plastique blanc
qui ne sait pas respirer.

La nuit venue, peut-être quittera-t-il son fauteuil ?
Peut-être viendra-t-il caresser la vitre
en signe d'au revoir à cette amie fidèle
qui jamais ne l'a déçu ?
Ou bien restera-t-il dans l'obscurité
à contempler le jeu des phares
sur son papier peint ?

En tout cas, il restera seul,
sans amertume et sans regret
avec l'espace de sa fenêtre
qui ne ment jamais 
et a pris la place de son cœur.



jeudi 9 avril 2015

Cette vieille femme en attente ne regarde rien.
Seules ces rides sont là,
comme une preuve ...

qu'elle a bien traversé le temps.


Les mains dans sa gabardine sans âge,
elle attend avec un air perdu,
comme si elle pressentait
la vanité de cette attente,
comme si elle n'en gardait
que la pose ayant compris
que c'est inutile.


On entend les pas des passants.
Le hall est rempli d'impatience
et du bourdonnement des voix.
la pâleur du visage de cette femme
est d'autant plus frappante.


Où est-elle ?
A qui pense-t-elle ?
Pense-t-elle ?


 N'est-elle pas plutôt un îlot silencieux
que les vagues de la foule
n'arrivent pas à recouvrir ?


Elle ne bouge pas.
Elle ne fixe rien
D'un instant à l'autre
elle peut disparaître.
Car personne ne viendra.


On ne saura pas,
on ne saura rien !


 

lundi 6 avril 2015

Rien de rabougri aux marches du soleil !
Quel est ce sourire qui s'étend à l'infini ?
Incroyable de se croire séparé.
Séparé de ce ciel qui se voile,
de toi qui prépare ton repas,
de ce cerisier qui revêt doucement
sa robe de marié.
Vite, tu passes entre les mailles
du filet que tu crées sans savoir pourquoi
et qui n'est qu'un songe.

Tu ouvres la fenêtre. Plus rien ne t'arrête.
Un clin d’œil, Te voilà de l'autre côté de la colline.
Réveille-toi ! Tire ce lourd rideau violet.
C'est plus qu'un rayon de soleil
qui pénètre dans la chambre.
C'est plus qu'un courant d'air.
Les rides tombent en poussière.
Des pétales sont posés dans tes mains.
Tu viens comme tu es avec des paroles
qui n'ont l'air de rien.
Tu viens parce qu'il y a des mots à surprendre.
Derrière cette histoire qui s'enferme dans la nuit,
se trouve une prairie toute simple,
de celles qu'on ne remarque pas,
couverte de fleurs banales,
mais c'est là qu'il sera bon
de s'asseoir sur un vieux tronc d'arbre à l'abandon !
Raconte-moi tout si tu le veux bien !
Le minotaure déjà s'éloigne. Une oreille est là
qui est un peu une chandelle dans ce dédale
où tant de fois tu as heurté les murs.
Le miroir ment ! Il vient fermer à double tour
l'espace où tu peux semer des graines qui te surprendront.
Comme c'est étrange d'apercevoir
ses ailes pour la première fois.
Comme c'est drôle de n'être plus attaché.
Est-ce vraiment possible ?
Tu te frottes les yeux?
Suis-je cette palombe qui du toit de la maison
se pose au sommet du grand frêne
en un vol plané ?
Suis-je cette mésange qui
se réchauffe au matin près
des bourgeons brillants du bouleau ?
Tu n'avais peut-être jamais respiré.
C'est la première fois que tu goûtes cet air,
comme on goûte du bon vin.
Il ne te manque rien, toi qui revêtait chaque matin
le vieux pardessus de ta journée
et qui rêvait de plage de sable fin
où le soleil t'aurait pris ton âme
pour te laisser un sommeil sans rêves.
Mais non, il ne te manque rien.
Il n'y a de trous nulle part !
C'est bien toi qui est là,
comblé par un sourire
qui n'a pas besoin de visage
et ne s'adresse à personne.
Les oiseaux emportent avec eux ce sourire.
Tu ne les retiens pas.
Tu ne retiens rien,
puisque que cela s'étend, cela s'apaise
et que le silence n'est pas une morsure !