samedi 11 avril 2015


Depuis des années cette fenêtre affronte le frimas,
les averses de neige ou de grêle,
la brûlure du soleil,
l'insidieux brouillard.
Depuis des années, elle s'imprègne 
des gaz des voitures et des camions.
Mais elle résiste.
Elle est la gardienne d'un espace retiré
où l'on entend seulement 
un tic-tac d'horloge ancienne.

Elle ne laisse passer qu'un peu de lumière
qui vient danser et réchauffer
le fauteuil où parfois un homme âgé
se repose tout près du rideau blanc
devenu gris lui aussi avec le temps.
Il essaye de lire, mais les lignes de son livre
se mettent à danser.
les mots perdent leurs sens
les phrases se bousculent.
l'horloge qui sonne parfois le réveille.
Il regarde son livre
comme il regarde la rue
et le flot des voitures
qui jamais ne s'arrête.

Il n'a pas encore la force de bouger,
même si le soir vient.
le livre dans ses mains
qu'il ne terminera jamais
est devenu un ami.
Il caresse la couverture,
il hume le papier.
Il danse aussi avec son regard
noyé dans la lumière
qui inonde la pièce
et qui disparaîtra.

Il est seul depuis si longtemps,
mais il ne se plaint pas.
D'ailleurs à qui se plaindrait-il ?

C'est cela qu'il vit et il le vit entièrement.
Assis à longueur de journées
dans son fauteuil usé,
c'est son existence
Un jour, il ne sait plus quand,
il l' a simplement embrassé
comme on serre très fort
un enfant dans ses bras.

Dehors tout s'agite.
la fête foraine bat son plein.
Des cris parviennent à ses oreilles
lorsqu'il entrouvre la fenêtre.
Il peut aussi reconnaître
le pas qui traîne du passant fatigué,
ou le claquement des talons
des jeunes filles énergiques.
Il ne se cache pas. Il ne fuit pas
les bruits du monde qui montent à sa fenêtre.
Non, il regarde tout cela
d'un autre rivage,
le rivage de sa fenêtre
qui a résisté au temps,
aux intempéries,
aux rugissements des moteurs.
Il est à sa fenêtre
comme on est en bord de mer
et que tout s'élargit,
que l'on respire soudain
parce que l'espace
que l'on cherchait avec angoisse
est enfin là.

C'est peut-être pour cela
que sa fenêtre a résisté,
malgré la peinture qui s'écaille
et les fissures dans le bois.
Il est amoureux de sa fenêtre.
Il se tient derrière elle,
un peu en retrait
comme l'on sait mettre en valeur
la personne que l'on aime
en sachant s'effacer.
Pour rien au monde, il ne l'aurait changé
pour un cadre en plastique blanc
qui ne sait pas respirer.

La nuit venue, peut-être quittera-t-il son fauteuil ?
Peut-être viendra-t-il caresser la vitre
en signe d'au revoir à cette amie fidèle
qui jamais ne l'a déçu ?
Ou bien restera-t-il dans l'obscurité
à contempler le jeu des phares
sur son papier peint ?

En tout cas, il restera seul,
sans amertume et sans regret
avec l'espace de sa fenêtre
qui ne ment jamais 
et a pris la place de son cœur.



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